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Siphonner l’argent public pour l’agriculture 4.0, marché « émergent »

jeudi 27 février 2020
Siphonner l’argent public pour l’agriculture 4.0, marché « émergent »

Un nouveau rapport remis au gouvernement début février vient répéter un refrain connu : il faut investir publiquement dans l’agriculture de précision et les agro-équipements. Des conseils de la part d’experts un peu particuliers, que le ministre de l’Agriculture est bien décidé à écouter.

Crédits photos : CC-by-NC-SA L’Atelier Paysan


Quand le ministre de l’Économie déclare, comme le 7 février dernier, « il n’y a plus de souveraineté politique sans souveraineté technologique », doit-on se réjouir ? On pourrait, s’il était question de souveraineté technologique des paysan.ne.s. Mais, sans surprise, ce n’est pas vraiment la direction proposée. Plutôt que les technologies appropriées comme celles que diffuse l’Atelier Paysan, c’est de l’agriculture dite "de précision" dont il est question. Celle-ci, qui regroupe l’usage de machines connectées, de guidage GPS et autres outils digitaux, fait en effet partie des "marchés émergents à forts enjeux de compétitivité" auxquels un groupe d’experts propose au gouvernement et au président de la République d’apporter un soutien financier public prioritaire dans les prochaines années. Dans le rapport « Faire de la France une économie de rupture technologique », remis au gouvernement le 7 février, le marché de "l’agriculture de précision et les agro-équipements", estimé à 126 milliards d’euros en 2018, arrive même en tête de classement…

Qui participait à ce « collège d’experts », soucieux d’aiguiller toujours plus de financements publics dans cette voie sans issue ? Il y avait certes une caution « écolo », Michel Dubromel, président de France Nature Environnement, mais cet ancien responsable de production de fongicides de synthèse au sein de la multinationale de chimie Rohm & Haas a-t-il une ambition de rupture avec l’agro-industrie ? Et il y avait surtout Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, hégémonique syndicat de l’agriculture industrielle française. Avec des pilotes pareils, il ne faut peut-être pas s’étonner de cette proposition d’aller toujours plus vite droit dans le mur.

Le 24 février, en ouverture de la table ronde « Agroéquipement : les nouvelles technologies au service de nos agriculteurs » (où intervenaient le syndicat de constructeurs AXEMA, la FNSEA, l’INRAE..), le ministre Didier Guillaume n’a pas fait mystère de son souhait de suivre cette recommandation : « Sachez que mes équipes, les équipes du ministère de l’Agriculture et de l’alimentation, ainsi que les équipes de Bruno Lemaire, du ministère de l’Economie et des finances, des gens très proactifs, travaillent à convaincre que l’agroéquipement est majeur pour notre souveraineté alimentaire. Je veux insister là-dessus. Je sais que quand je prononce cette phrase, il y a controverse. Je sais que parfois, certains ne sont pas d’accord. Mais je veux réaffirmer ici, très clairement, que l’agroéquipement est majeur pour notre souveraineté alimentaire. Alors cette liste des marchés clés n’est pas encore arbitrée, il va falloir travailler. »

Ce type de soutien public à l’agroéquipement, mêlant au cours de l’histoire des justifications de production alimentaire et désormais de transition agro-écologique, est au coeur du projet de recherche collective en sciences sociales « POLitique de la Machine Agricole » (POLMA). Accompagné par la coopérative Les Jours à Venir dans le cadre d’un financement de recherche participative de la Fondation de France, ce projet regroupe une dizaine de sociologues et historien.ne.s qui, avec le soutien de l’IFRIS, étudient la place du machinisme depuis les politiques de modernisation d’après-guerre jusqu’aux politiques d’innovation contemporaines, la construction de ses marchés et son impact sur l’organisation des exploitation et les systèmes productifs. Ses premiers résultats sont attendus pour 2021.