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Jean-Pierre & Hugo, de la formation du métal à la politique, et l’inverse

lundi 24 février 2020
Jean-Pierre & Hugo, de la formation du métal à la politique, et l’inverse

Qui sont ces personnes qui font l’Atelier Paysan ? Chaque mois, ils et elles se présentent ! Pour ouvrir cette série, Hugo Persillet (animateur-formateur) et Jean-Pierre Comte (technicien-formateur) échangent autour de leur expérience commune : une semaine de formations croisées dans le Lot-et-Garonne, en octobre dernier.


À travers cette interview partagée de Jean-Pierre et Hugo, c’est aussi l’occasion d’en apprendre plus sur cette première expérimentation d’un format de stage d’autoconstruction "enrichi" : 5 jours de formation au travail du métal et conception d’outil, enrichis d’une journée de formation "Repérer les impacts de ses choix en agroéquipements sur son système d’exploitation" et d’une soirée-débat citoyenne.

Retour sur cette riche semaine commune à Villeneuve-sur-Lot (47), du 21 au 26 octobre 2019, sur la ferme d’Emmanuel Aze (paysan sociétaire), les Vergers de St Sulpice.


C’était quoi le contexte ?


Jean-Pierre :

Cette formation a été rendue possible grâce à un paysan sociétaire et activiste à la Confédération paysanne du Lot et Garonne, par sa volonté et les attentes de ce groupe, ainsi que celles des gens autours contactés, dont la structure Biaugerme, et d’une envie partagée par plusieurs personnes décidées à s’équiper, d’autres simplement à apprendre à mettre les mains dans le métal.

Hugo :

Nous sommes partis sur quelque chose d’ambitieux, c’était assez rare cette configuration, de partir d’un groupe en grande partie déjà constitué. C’est la Confédération paysanne qui a porté le projet : mettre en place une journée Repérer les impacts de ses choix en agroéquipements sur son système d’exploitation faisant suite à la semaine de formation soudure, le samedi. Ils avaient identifié que c’était malin de faire ça à la suite de la formation soudure pour continuer l’immersion dans l’Atelier Paysan en se faisant une semaine à la fois technique et à la fois de réflexions socio-politiques, et de permettre à ceux qui n’étaient pas venus dans la semaine de rejoindre la dynamique. Bien vu, puisque la moitié du groupe venait du stage soudure, la moitié venant de l’extérieur. Assez puissant. Moi c’est la seule fois où j’ai pu vivre ça. Je trouve que c’est vraiment une super chouette formule, alors qui demande pas mal d’organisation en amont et de la disponibilité pour les gens, mais ça a permis beaucoup d’échanges entre les stagiaires « soudure » et les autres, les premiers accueillant et racontant leur semaine aux seconds. Il y a eu un réel élan d’enthousiasme suite à la semaine qui a permis dans la journée du samedi de décortiquer les impacts de la technologie, comment mettre chacun-e le curseur (plus ou moins d’agroéquipement, lequel…). Ça a permis au groupe de se donner des suites pour l’autoconstruction : on a consacré une partie de la journée à envisager les suites pour ce début de groupe d’autoconstructeur-ices qui se constituait. Extrêmement efficace puisqu’ils se sont fixés une date pour se revoir, et ont été une vingtaine à se retrouver quelques semaines plus tard. Ils ont pris la décision de fonder une sorte de groupe d’appui local à l’autoconstruction, avec un calendrier pour se retrouver pour des moments de bricolages entre eux, et le projet plus ambitieux de monter un atelier avec le réseau Biaugerme. Ça a permis aussi aux absents de la semaine de raccrocher la dynamique. Sur le côté politique, des membres actifs de plusieurs structures ont bien saisi la nécessité de parler du sujet de l’équipement au sein de leur propre structure, de faire exister cet angle politique.


Ce stage a-t-il été facile à monter ?


Jean-Pierre :

Ça a été un peu compliqué de mobiliser suffisamment de monde, au final on a réussi à constituer un petit groupe de huit stagiaires. Ça a été quand même du stress et beaucoup d’énergie en amont : soit pas la bonne période, soit des difficultés de financements, soit compliqué pour choisir des outils à construire. Ça démontre qu’il faut s’y prendre bien en avance. Pour ne pas se retrouver de nouveau dans ce cas de figure je mets sur pied ce printemps une « tournée » dans les départements du Grand sud pour aller chercher les besoins très en amont, avoir 6 ou 7 mois d’avance sur la programmation des stages.

Hugo :

Dans la préparation ce qui était ambitieux c’était de vouloir le samedi soir accueillir le grand public pour un apéro de présentation des machines fabriquées la semaine, expliquées par les stagiaires. Ça plaît beaucoup, autant aux collègues paysans qu’aux voisins citoyens. On avait aussi déplié l’exposition, et organisé une conférence-débat. L’idée de départ était de traiter un des sujet qu’on brasse : l’abattage à la ferme. Il nous concerne directement puisqu’on expérimente la conception de petites unités mobiles d’abatage. On s’y retrouve aussi politiquement par les problématiques de normes, de modèle industriel imposé par les normes, qui rejoignent nos problématiques de modèle industriel imposé par l’équipement, la machine et son financement. Ça faisait sens. Le grand pari a été d’inviter à une table ronde non seulement des paysan-nes éleveurs et éleveuses concerné-es, mais aussi des gilets jaunes, des associations locales, diverses dynamiques rurales, dans l’idée de faire convergence. Un succès, les gens se sont déplacés : environ 120 personnes sur place le soir, avec un petit concert pour finir. On a rangé le hall et c’est devenu un dance hall !


Qu’est ce qui t’a marqué dans cette semaine ?


Jean-Pierre :

La motivation du groupe et la bonne ambiance. Ça arrive rarement d’avoir un groupe qu’on n’a pas envie de revoir mais celui-ci était spécialement motivé. Des envies, des gens gentils, on sentait qu’ils allaient beaucoup réinvestir de ce qu’ils apprenaient.
J’ai été marqué aussi par la situation dramatique du copain paysan qui nous accueillait. Un arboriculteur, confronté à un faisceau de galères typiques de sa filière. Quatre années de suite sans presque aucune récolte, ça m’a un peu choqué.
Aussi de découvrir la structure de Biaugerme, que je ne connaissais pas du tout. Également une belle rencontre avec un jeune paysan qui autoconstruit mais qui est très technophile ! Il était parti pour construire une bascule pour peser les brebis. Mais il voulait les mettre dans un couloir de tri entièrement automatisé. Sa compagne, paysanne éleveuse également, voulait faire un système manuel, lui avec des capteurs de partout ! Deux visions très différentes, mais qui bossent ensemble, ça m’a touché. Du coup ils ont conçu un système « électronisable » mais fonctionnel manuellement si ça ne marche plus. Très intéressant.

Hugo :

Mille choses ! C’est un moment que j’attendais : ma première expérience en tant que stagiaire sur une formation de travail du métal. J’ai très bien vécu la semaine, très agréable. J’étais là juste pour découvrir, ça m’a permis de me confronter à la représentation que je m’en faisais.
D’abord un agréable surprise : ce fut moins physique, moins chronophage que je le craignais, pas trop d’outils prévus du coup on a eu des journées correctes, personne sur les rotules, chouette à vivre, fluide et tranquille. C’était intéressant d’observer ta posture pédagogique. Je suis impressionné de voir comment tu arrives à maîtriser l’avancée du chantier avec précision. L’impression que tout a fini par se monter dans les temps, alors que moi je ne voyais que des pièces détachées ! Tu parviens à maintenir une dynamique ferme et sereine. A titre personnel je reste un peu frustré que les stagiaires rentrent chez eux chaque soir, on n’était que nous deux aux soirées ! Pour la restauration ils ont fait appel à un Groupe d’entraide mutuelle (GEM, des personnes déficientes mentales). On avait juste à mettre les pieds sous la table. Ils et elles ont vraiment assuré ! C’était super chouette humainement avec le GEM, qui venait nous voir à l’atelier avec les yeux qui brillent. Cela a contribué à passer une bonne semaine.
Sur le samedi, j’ai adoré le mélange des gens. Une grande attention et une grande empathie sur des sujets assez pointus et pas faciles à entendre. Les gens arrivaient à faire les liens entre les divers sujets ce qui n’est pas toujours facile. Pour la Confédération paysanne qui a porté la soirée, c’était un moment phare qui a fait office de fête annuelle, ça leur a donné la patate pour leur dynamique interne et plein de gens ont (re)découvert la Conf’ avec qui agir sur des sujets pas que strictement agricoles. Cela les a replacés dans le paysage local. De voir cette rencontre fonctionner c’était pour moi le plus marquant.
Au milieu de la nuit j’ai pris mon micro pour aller interviewer des stagiaires, pour avoir une trace. De mémoire je garde deux pépites : l’un d’eux sur ses appréhensions sur la journée de formation politique, qui au final a passé un super moment. Il m’a livré un truc du genre : « nous, paysans, on est depuis toujours dans un sentiment d’infériorité intellectuelle. On a été construit comme ça. » Du coup de se confronter à ça, d’échanger là dessus, entre collègues, dans un cadre sécurisé et progressif, ça été pour lui hyper libérateur. Et hyper puissant de montrer qu’ils avaient du savoir d’analyse sur ce qu’ils étaient en train de vivre. Et que ce savoir là est légitime, autant que celui qu’il y a dans les livres. Que ce qu’il a à dire est aussi légitime qu’un chercheur ou un auteur. Il pense que c’est vraiment comme ça qu’il faut aborder le milieu agricole. « Il faut arriver à donner la parole au petits gens du monde populaire paysan pour les légitimer ». Ça valide totalement nos intuitions d’éducation populaire.
Et puis le témoignage d’une paysanne, jeune éleveuse. Je l’avais (entre autres) interrogé sur sa position de femme. Elle m’avait avoué (tout comme la seconde stagiaire femme) avoir vraiment hésité à venir car son frère, son mec, son père lui ont demandé si le stage était vraiment ouvert aux femmes (!) Il y a vraiment une représentation très masculine du travail du métal en atelier. Elles ont déclaré toutes deux avoir passé une excellente semaine de ce point de vue là. Quand je lui ai demandé si elle aurait préféré participé à un stage uniquement entre femmes (une piste que nous creusons sérieusement), elle m’a dit que l’idée ne la choquait pas mais certainement pas pour elle. Vivre cette formation en mixité c’est pour elle se confronter à ses collègues hommes. Avant le stage, elle n’osait pas les solliciter sur de la technique, de peur qu’on fasse à sa place, comme avec un enfant. A présent elle se sent de bosser avec des mecs sans qu’on le fasse à sa place. Un temps nécessaire pour se confronter, les mains dans le cambouis, entre égales et égaux. Un petit moment de prise de pouvoir émancipateur.


En quoi cette expérience te fait avancer dans ta façon de travailler, avancer à l’Atelier Paysan ?


Jean-Pierre :

C’était ma première formation de l’année, qui m’a mis le pied à l’étrier.
Ça m’encourage à partir sur du « multi outils », et aussi vers des prototypages complets sur du matériel d’élevage. Me confirme qu’il faut tendre vers ça, vers du « à la carte ». On doit tendre vers ça : en « mono outil » ou filière unique la formation ne se serait pas faite.
C’était bien intéressant d’avoir des maraîchers, des éleveurs, des céréaliers (multi filières), ça fait des ponts passionnants.
Localement il me semble important de suivre les groupes, voire d’en faire partie. Comment arriver à en faire partie, à travailler et avancer avec. Me confirme le besoin de continuité. Ça change totalement la donne d’être dans les territoires de vie.
Par ailleurs, je me suis inquiété plusieurs fois du confort des stagiaires femmes pendant la formation. Les sujets des rapports femmes-hommes sont compliqués, ça m’a permis de prendre du recul, de complexifier ma vision. D’avoir le témoignage direct des premières concernées m’a fait du bien. Ça m’a un peu rassuré aussi sur ma position et posture d’homme formateur.
Il me semble aussi important de saisir la brèche sur l’élevage et les grandes cultures. L’Atelier paysan n’y est pas trop, il faut qu’on y rentre. Ce sont eux les plus grandes victimes du modèle dominant, eux qui se suicident, sont le plus en détresse. Pas les petits maraîchers sur un demi hectare… J’avais cette intuition, ça me la confirme. Depuis on a eu pas mal de sollicitations. On doit rentrer franchement dans ces domaines.

Hugo :

Cette expérience confirme aussi des intuitions, confirme qu’on a tout à gagner à inventer des approches à la fois techniques et sur le fond politique, comme sur des questions d’organisation collective pour les suites. Je trouve qu’on met les gens bien moins en impuissance quand on prend le temps de réfléchir à des suites qui sont collectives, pour la communauté d’autoconstructeurs. Et de mettre des mots sur l’impact politique de notre geste d’autoconstruction : dans quoi ça s’inscrit ? Contre quoi ça s’inscrit ? C’est en somme une validation intellectuelle de ce que l’on fait avec nos mains. J’ai l’impression que ça donne de la force à nos mains. En tout cas c’est ce que nous ont renvoyé les stagiaires qui ont vécu l’ensemble de la semaine. Et que c’est bien dans ce sens là que ça marche : d’abord en allant sur du concret : du partage, de l’entraide, de vivre un moment de groupe où ensemble on prend du pouvoir. Et à la fin de faire l’analyse de ça, de se projeter dans l’état de la société actuelle. C’est la recette sur le papier d’une vraie démarche émancipatrice dans la durée.
Cela confirme des intuitions que l’on a pu avoir à l’Atelier Paysan. Je suis content de l’avoir vécu. Et puis l’aspect de ne pas hésiter à inviter les citoyens, ce qu’on appelle la communauté paysanne, les gens qu’il y a autour, essayer de les mettre dedans. Je trouve que le format « présentation d’outils » est extrêmement simple et puissant. Avec peu de moyens on peut créer un évènement qui concerne plus de gens que les stagiaires et qui fait date. Un point de départ de quelque chose. Tout le monde était vachement fier de cela.
Ça montre aussi qu’on peut servir à ça, même quand on est loin. Ça permet de tirer des enseignements pour la suite : comment on anticipe ces moments là. Sur les conférences que j’organise dans tout le pays, je vois la différence quand c’est un groupe qui co-porte la date, qui est co-responsable de sa réussite ou de son échec, on n’a pas du tout le même résultat que quand c’est un collectif qui ne fait que nous ouvrir la porte ou relayer l’information (ce qui est souvent le cas). Évidemment, comme c’est souvent dans des endroits que l’on connaît peu, ça fonctionne beaucoup moins bien. Ici on a eu un groupe qui a mouillé la chemise, ça prend sens, ça ouvre plein d’idées, de fils à tirer, c’est super. Et ce n’est pas si dur que cela à mettre en place. Ça n’a pas demandé un an de travail ou un budget colossal.

À refaire ! À tordre ! À diversifier.