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Sur la Ferme des volonteux, on travaille le collectif et l’autonomie

Une vingtaine de personnes font partie de cette coopérative d’activité et d’emploi dans la production de fruits, légumes et céréales, la transformation et la vente.

JPEG - 363.3 ko Depuis sa reprise en 2009, la Ferme des volonteux à Beaumont-lès-Valence (Drôme), a pris une place importante sur le territoire. Les habitants s’approvisionnent au magasin sur la ferme ou sur son banc au marché de Valence, les entreprises font appel à son service de traiteur et les collectivités locales et les organismes de développement et de formation agricoles s’intéressent aux pratiques mises en place sur cette ferme conduite en agriculture biologique.

Le « modèle » de la Ferme des volonteux, gérée par une société coopérative (Scop sous forme de SARL) à objet de coopérative d’activité et d’emploi (CAE) tranche radicalement avec celui de l’exploitation familiale. Il reflète une autre approche de la production agricole et du travail, fruit de questionnements permanents sur les processus de décision, l’installation de nouveaux ateliers, la mutualisation du matériel, la commercialisation, l’autonomie, l’environnement…

En décembre 2018, Rémy Léger, arboriculteur et gérant de la coopérative, nous accompagnait pour un tour de ferme. Au menu : des parcelles de pêchers, de courges ou d’asperges, des serres imposantes surmontées de panneaux solaires - où l’on teste par exemple la production de mangues ! - , des tunnels qui accueilleront des courgettes et autres légumes et fruits, des espaces en herbe pour des chevaux de trait mais aussi un hangar d’une douzaine de mètres de haut sur cinquante mètres de long accueillant des locaux de travail, des frigos, un espace de transformation, un magasin de dépôt-vente…

De la production à la commercialisation
« C’était la ferme de mes grands-parents, un lieu qui j’ai toujours aimé, explique Rémy. Il y avait une bergerie et des vaches, ils faisaient du fromage mais aussi des volailles et du maraîchage, avec des asperges. Mon père a travaillé sur la ferme mais il était employé dans une usine, puis il a créé son entreprise de fabrication de pièces industrielles. Il y a eu un saut de génération, des choses que j’ai dû réapprendre. Mais au moins, je n’ai pas été "mal apprenant" ! J’ai commencé sur la ferme en 2008 puis on a monté une Scop. »
Au fil des ans, d’autres rejoignent l’équipe de départ qui comptait deux maraîchères, sa mère et son ex-femme, certains membre partent et de nouveaux projets voient le jour. Le magasin est créé en 2012 et l’espace dédié à la transformation des légumes et à la cuisine est investi pour lancer une activité de traiteur en 2013.

Aujourd’hui, la ferme compte environ une vingtaine d’hectares dont environ un tiers pour l’arboriculture, un tiers pour le maraîchage avec 4 000 m² de serres et un tiers en luzerne, orge et blé. La CAE, qui emploie une vingtaine de salariés dont sept entrepreneurs salariés, a réalisé environ 1,2 million d’euros de chiffre d’affaires en 2018, dont les deux-tiers grâce au magasin qui fait également dépôt-vente pour d’autres produits fermiers.
« Des voisins nous ont donné quelques hectares mais aujourd’hui on pense qu’il ne faut plus s’agrandir. Si on embauche de nouvelles personnes, il faut trouver de nouveaux équilibres et gérer plus d’activités. On ne veut pas devenir une usine et faire du business. Ici, il y a plein de gens avec des "bac plus x" qui ne sont pas là pour l’argent. En ce moment, on est dans une recherche de qualité de vie et de temps », note Remy.

Mutualiser les outils et le travail
Sur la ferme, qui travaille fréquemment avec la coopérative d’auto-construction paysanne l’Atelier paysan, la recherche d’autonomie en matière de technologie, d’énergie, de matière organique ou de semence, oblige à des compromis constants. « On a quelques brebis que je fais pâturer sur les terres et entre les arbres. Mais on consomme 200 tonnes de fumure par an et, pour être autonome, il faudrait 600 brebis et donc ajouter de la surface. Ce n’est pas l’objectif. On voudrait aussi travailler sur nos propres semences, mais on aurait beaucoup de mal à assumer une baisse des rendements. Quand on veut régler un problème, on en soulève dix-huit », s’amuse Rémy. Si chacun gère son activité de production ou de transformation, tout est lié et la mutualisation du travail, des outils et des compétences est l’usage et constitue le principal avantage du collectif.

Décider ensemble
Définir les orientations de la ferme et ses règles de fonctionnement, du fait du nombre de personnes et d’activités, avec par exemple récemment la reconversion d’un maraîcher en paysan boulanger ou le départ prochain des personnes gérant l’activité traiteur, nécessite d’organiser régulièrement des temps d’échange. Si, sur le papier, Rémy est le gérant officiel de la coopérative, les décisions sont prises collectivement.

« On a différents pôles de compétences, comme la comptabilité ou la commercialisation, gérés chacun par un binôme qui tourne régulièrement. On s’est fixé trois heures de travail par semaine sur chaque pôle mais c’est variable en réalité. Avec ce système, en plus des temps formels - des conseils d’administration tous les trois mois et un bilan annuel -, tout le monde participe aux décisions et personne n’a la maîtrise de tout et on apprend beaucoup. Ici, on avance en marchant », détaille Remy.

Autre particularité, les paysans en CAE ont un statut d’entrepreneur-salarié. Chacun gère son activité, possède son compte analytique, paye une part des frais généraux (en pourcentage du chiffre d’affaires) et l’utilisation du matériel (environ 7 000 euros par an et par personne) et se verse un salaire d’environ 1 200 euros net par mois. Les avantages du salariat pour les droits à la retraite et au chômage ou en cas de maladie, sont certains. Mais, pour ces paysans, le statut de salarié pose néanmoins des problèmes, en matière d’accès aux aides à la production ou de droits de formation. Il permet néanmoins d’obtenir des financements accordés à l’économie sociale et solidaire.

La question de la propriété
La propriété des moyens de production est également l’objet de questionnement. Aujourd’hui, Rémy est propriétaire des terres et des bâtiments, acquis via une société individuelle et un emprunt de 500 000 euros, et la Scop lui verse des loyers. Mais, à l’avenir, comment se passera une éventuelle transmission ? Faut-il demander aux entrepreneurs qui rentrent dans la coopérative d’investir et combien ? « Ce qui me rassurerait c’est que la propriété ne soit jamais déconnectée de la production et que l’on ne puisse pas non plus faire de plus-value », note Rémy. Le statut coopératif, encore peu utilisé en agriculture même si les exemples se multiplient, reste un outil à défricher pour adapter au mieux les cadres au fonctionnement des collectifs.

Fabrice Bugnot
Article publié initialement dans Transrural initiative n°475