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L’Atelier paysan à la rencontre des étudiant-es ingénieurs : pour remettre du politique dans la technique

mardi 25 février 2020
L’Atelier paysan à la rencontre des étudiant-es ingénieurs : pour remettre du politique dans la technique

Fait assez rare : l’Atelier Paysan a répondu à l’invitation d’étudiant·es engagé·es d’une école d’ingénieur·es de Villeurbanne (INSA), pour intervenir sur la question des Lowtechs ainsi que sur celle des pratiques agricoles alternatives, de leurs limites, et de la place des ingénieur·es dans une visée citoyenne de souveraineté technologique. Voici le récit des deux sociétaires de l’Atelier paysan qui s’y sont rendus, le weekend dernier.


Dimanche 16 février, nous avons répondu à l’invitation d’un collectif d’associations de l’INSA de Lyon (Institut national des sciences appliquées) dans le cadre de la SDAD (Semaine Des Alternatives Durables), qui avait lieu du 13 au 20 février. Ce festival engagé annuel se donne pour ambition « d’articuler, pendant huit jours, différentes thématiques des problématiques écologiques et solidaires et d’en présenter les alternatives. Bien plus qu’une simple addition d’événements, elle porte une vision cohérente de l’engagement associatif, citoyen, politique, écologique et social. »
Nous débauchons régulièrement quelques élèves de cette vénérable institution, aussi c’est avec plaisir que nous avons transporté notre exposition à Villeurbanne, sur le campus, et avons pris une chaise autour de deux tables rondes.


La première :

« Repensez sa consommation. L’avenir peut-il être Lowtech ? »

C’est Ilan, ingénieur mécanique à l’Atelier paysan, salarié sociétaire et ancien élève de l’INSA, qui s’y est collé. Voici son récit :

« Cette table ronde faisait intervenir Romain Colon, un enseignant de Génie Mécanique, Benoit Bride de Pachama Energie, Jean-Philippe Tagutchou de PROVADEMSE, Lee Bareigts étudiante INSA, et moi.

La conversation, qui s’ancrait dans un sujet technique est monté en contenu politique très rapidement. Sans savoir qui étaient les autres intervenants, nous avons convergé vers la nécessité de ne pas considérer le low-tech comme une réponse unique et totale, au risque de retomber dans du solutionnisme technologique. S’il y avait à trouver comment sortir des désastres écologiques, il ne faut pas tant chercher du côté d’une solution technique que de voir dans quels rapports sociaux s’ancrent nos productions technologiques, pour réussir à les subvertir. Nous avons pu insister sur la nécessité d’imposer du rapport de force, par de l’action collective, et donc d’ancrer la technique et son monde dans celui de la mobilisation sociale.
Car en effet, il ne s’agit pas simplement de savoir bricoler du low-tech dans son coin (bien que cela soit fantastique), il s’agit également identifier de la conflictualité dans le champ technique, autrement dit comprendre quelles divergences d’intérêts dirigent les chemins technologiques que nous empruntons.

Pour mon ressenti personnel, j’ai été très agréablement surpris par la tournure qu’a pris cette table ronde. Si le déroulé pouvait laisser entrevoir des questionnements de technico-ingénieur, nous avons pourtant vite décollé. Ce qui me laisse finalement revoir mon jugement de la thématique du low-tech comme potentiellement une accroche sur la technocritique réellement subversive, car cela nous amène vite à poser des questions intéressantes : on veut maîtriser la technique, mais pourquoi ? Pourquoi celle-ci semble ne plus répondre aux enjeux actuels ? Est-ce qu’on ne pourrait pas maîtriser en amont toute la production technologique ? Et donc remettre en cause la possession des moyens de productions qui implique l’incontrôlabilité de nos choix technologiques ? En somme, le low-tech peut permettre d’identifier le caractère politique du champ technique. Cette analyse a été produite de manière presque évidente lors de cette table ronde, mais il faut à mon sens rester vigilant quant à l’emploi hermétique aux rapports sociaux que pourrait porter le low-tech.
Le fait que ces réflexions convergent aussi vite et aussi spontanément est une perspective plutôt rassurante, d’autant plus lorsqu’elle prend forme au sein même d’une école d’ingénieur, temple de la formation technique. »



La seconde :

« Résilience alimentaire et pratiques agricoles alternatives »

C’est Hugo, animateur formateur à l’Atelier paysan, salarié sociétaire, qui s’y est collé. Voici son récit :

« Le terme de résilience est celui utilisé par la structure qui s’exprimait avant nous, les Greniers d’abondance, par les voix des deux jeunes fondateurs présents. Avec un diaporama très fourni, ils ont déplié un tableau très complet du constat du danger que fait peser l’organisation industrielle du secteur agroalimentaire. Selon eux, le « système » atteint un tel degré de complexité qu’il pose un problème de sécurité alimentaire : au moindre frémissement d’un endroit de la chaîne, l’approvisionnement des villes serait menacé.

C’était donc parfait pour moi de prendre la suite : j’ai pu me concentrer sur des leviers d’actions, sans répéter les constats, et sans devoir préciser (ce qui est rare) que au-delà des bonnes pratiques à défendre en agriculture, on doit se soucier des impacts colossaux et préoccupants de l’industrie agricole productiviste. Ainsi, rebondissant sur l’idée de résilience, c’était aisé de montrer qu’elle s’applique à la nature du matériel et du bâti conçus par les paysannes et les paysans de l’Atelier paysan. Ne restait plus qu’à détailler le fonctionnement de notre coopérative dans sa proposition d’alternatives concrètes : un organisme de développement agricole et rural autour de la notion de Communs et d’innovation ascendante de technologies appropriées à une agroécologie paysanne.

Puis j’ai concentré mon propos sur le fait que le développement de ces précieuses alternatives rencontre des limites à constituer une véritable souveraineté technologique, puisque l’autonomie paysanne se heurte à la logique industrielle en agriculture. Le productivisme et le gigantisme se déploient plus vite que nos alternatives, avec de nouvelles formes qui intègrent la contrainte écologique en « verdissant » les nouvelles technologies agricoles, par des investissements publics et privés de très grandes ampleurs, dans la robotique, le numérique et les biotechnologies au service de la même agriculture conventionnelle, mais dite « de précision ».

En somme, nos visées environnementales, sociales et humaines ne peuvent reposer seulement sur la responsabilité individuelle. Nous devons prendre en compte les rapports sociaux qui traversent l’agriculture comme toute la société : rapports de genres et de classes, individualisme, prédation capitaliste. Ce qui amène le problème sur le terrain de la politique et l’éloigne de celui de la morale (tant mieux, nous n’avons pas vocation à être des églises qui propagent une bonne parole !)

De plus, et c’était bien le lieu pour l’aborder, une approche critique de la machine agricole doit reposer non seulement sur une perception de la logique industrielle, mais aussi sur un recul critique de la logique technicienne. Cette idéologie, construite depuis deux siècles, qui présente tout changement technique en « progrès ».


En somme :

« Le problème n’est pas technique, il est politique. Mais la technique nous pose un problème politique ! »

C’était le passage le plus intéressant, d’assister à la réaction de ces étudiant-es face à la démonstration que la technologie n’est pas neutre, qu’elle est nécessairement un vecteur de rapports sociaux, la plupart du temps de dominations.

Nous avons ainsi pu terminer cet échange en questionnant le rôle social dominant de « l’ingénieur », et de comment elles et ils allaient se démener avec ce constat lucide dans leurs futures activités…

Nous avons conclu ensemble à la nécessité de faire mouvement citoyen, bien au-delà des paysan-nes, pour faire reculer l’industrie technicienne en agriculture.

Je crois que le message est passé ! Beaucoup de retours en fin de conférence pour nous remercier d’apporter une parole franche, radicale mais étayée. Les élèves ingénieurs présents ressentent un grand besoin de questionner leur place dans les rapports sociaux.

C’est chouette et rassurant. Nous reviendrons !
Affaire à suivre… »


Spécial remerciements et salutations à Léa !

Ilan & Hugo



Si ce récit vous inspire, rappelez-vous que l’Atelier paysan peut se déplacer quand on l’invite !