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Des outils fabriqués par et pour des femmes !

Fabriquer des outils conçus par des femmes, pour des femmes, entre femmes : voilà l’ambition de deux accompagnements expérimentés dans le cadre du projet MCDR UsageR-E-s auprès de paysannes accompagnés par les Civam en Loire atlantique (44) et en Ille-et-Vilaine (35). Après plusieurs mois consacrés à la définition des besoins et la validation collective des cahiers des charges des outils, l’heure en ce début d’année était à l’auto-construction et l’initiation au travail du métal. Premiers retour sur ce projet en faveur de l’autonomie des paysannes.

Beaucoup de paysannes utilisent des équipements peu adaptés à leur morphologie et leurs activités : les outils sur le marché sont bien souvent trop gros, trop lourds ou encore trop hauts et le manque de compétences et de connaissances en matière de travail du métal les empêche de bricoler leur matériel pour l’adapter. En proposant de travailler avec les utilisatrices de la conception à la réalisation des outils, le projet UsageR-E-s entend intégrer cette dimension du genre dans ses actions pour favoriser l’autonomie des paysannes.
C’est avec cet objectif que démarre au printemps dernier l’étape de recherche et développement avec des échanges entre les paysannes et les ingénieurs de l’Atelier Paysan. Confinement et haute saison obligent, beaucoup de ces interactions se passent par téléphone et mails et permettent de préciser les besoins des paysannes, de réaliser des cahiers des charges et de se lancer dans la mise en plan des outils.

« Aller moins souvent chez l’ostéopathe »
Au gré des échanges, des propositions sont écartées : « cette fonctionnalité ne semble finalement pas si essentielle et rajoute du poids à l’outil » ; certaines sont validées : «  il ne faut pas transiger avec la qualité des roues qui doivent être solides et s’adapter aux irrégularités de mon terrain » ; tandis que d’autres font l’objet d’approfondissements supplémentaires. Ainsi, dans les deux groupes, les réflexions sur les poignées des outils sont traitées avec beaucoup d’attention, les paysannes étant conscientes de l’impact de ces choix, d’apparence anodine, sur leur qualité de travail au quotidien. « Si avec des outils plus adaptés, on pouvait aller voir moins souvent l’étiopathe ou l’osthéo ça serait bien ! », plaisante l’une d’elles.
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Prototype (ayant encore évolué ensuite) du chariot à piquets de clôture travaillé avec le groupe Les Elles de l’ADAGE (35)._ Chariot à piquets de clôture travaillé - Elles de l'ADAGE

Les femmes des Elles de l’Adage (35) partent finalement sur deux outils jugés utiles pour toutes les éleveuses du groupe, installées en laitier ou en allaitant, pour limiter les ports de charges lourdes et réduire la pénibilité de tâches régulières : un repousse-fourrage pour repousser l’alimentation des bête à l’auge et un charriot pour porter les piquets de clôture. Les paysannes insistent également sur la simplicité des outils qui doivent être peu couteux, solides et réparables facilement.
Dans le 44, la dizaine de paysannes du groupe a fait le choix de réfléchir et fabriquer collectivement deux chariots de récolte pour une maraichère et une productrice de petits fruits. Pour elles, les questions d’ergonomie sont centrales : les chariots doivent être ajustés à leur taille, pas trop lourds, maniables, polyvalents et adaptés à leur choix techniques (des cultures en planches permanentes par exemple). Sur la ferme d’Anne-Lise la maraîchère, le chariot sera utilisé par une autre femme dont la morphologie doit aussi être prise en compte.
Elise, productrice de petits fruits, a particulièrement apprécié cette phase de recherche et développement participative : « Un moment d’émulation très intéressant qui m’a permis de me poser plein de questions sur le chariot que je voulais et l’usage que j’allais en faire : sa hauteur, son poids, sa capacité. Par exemple, trouver un équilibre entre la volonté d’être efficace et de transporter en une fois le plus de caisses de fraises possible et ce que je peux porter sans trop forcer ou galérer ».

Porte-tout revisité et réduit pour répondre aux besoins de la productrice de petits fruits du 44. Porte-tout revisit - production petits fruits. Elles - Adage.
« Quand je passe à l’atelier, j’espère que le beau-père ne sera pas là » 
Il est maintenant temps de passer au stade de fabrication des outils et rendez-vous est pris début 2021 pour des chantiers d’auto-construction dans des fermes et dans les locaux de l’Atelier paysan dans le Morbihan (56). Dans le 44, cette formation très attendue est aussi l’occasion de se retrouver « en vrai », entre femmes du groupe, après plusieurs mois d’éloignement et de fonctionnement téléphonique dus à la situation sanitaire.
Avant de rentrer dans le vif du sujet avec la dizaine de participantes sur chaque session, une jauge est distribuée aux paysannes leur demandant de se positionner dans leur rapport d’aisance, de confiance et de légitimité concernant l’équipement agricole dans leur quotidien. Un exercice qui ouvre la parole sur les questions de genre et de technique au sein du monde agricole et plus largement dans le domaine des savoir-faire manuels. Certaines pointent le manque de matériel ou d’espace pour bricoler ainsi que le manque de connaissance des outils et de leur usage.
Ces outils sont par ailleurs jugés bien souvent trop lourds, pour des usages en force trop longs qui ne semblent pas à la portée de plusieurs participantes. Dans ces conditions, et pour des motivations politiques également, certaines paysannes comme Pauline font le choix d’un équipement très peu mécanisé, avec un impact parfois non-négligeable sur leur santé. «  Je prends cher physiquement » résume-t-elle. Cette paysanne en cours d’installation dans le 44 sur de la production de plants et petits fruits a récemment appris par elle-même la soudure afin de monter sa serre. Un gain d’autonomie dont elle est fière mais qu’elle veut assoir plus solidement avec le stage du travail du métal.
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Chantier de conversion d'un parc de machines agricoles à l'attelage “triangle”. Gaec la amapola à Moirans (38).

Peur du jugement
Le poids du regard des autres, notamment des hommes, revient également beaucoup dans les témoignages des participante, entre peur du jugement et volonté de ne pas recevoir des conseils trop souvent exprimés ou vécus sous la forme d’injonctions : « Quand je passe à l’atelier, j’espère que le beau-père ne sera pas là ». «  Je veux pouvoir me débrouiller toute seule, rater de mon côté sans avoir quelqu’un sur le dos en plus. Je suis déjà experte en auto-flagellation à me demander sans cesse si j’ai bien fait alors pas besoin de s’en rajouter !  », ajoute une autre. D’où le choix d’une formation en mixité choisie, proposée uniquement à des paysannes et porteuses de projet des groupes. Un cadre bien souvent sécurisant et favorable à l’autonomie sur lequel misent notamment plusieurs femmes installées avec leur conjoint comme en témoigne Mathilde : « C’est l’occasion de me former sans mon compagnon qui s’y connait déjà bien niveau machines et bricolage pour gagner en assurance. Cela me forcera aussi à arrêter de me reposer sur lui sur ce domaine et de faire par moi-même ».
Poser des questions plus facilement à une femme
Pour ces sessions, les formateurs de l’Atelier Paysan sont accompagnés d’Aude, une maraichère du Finistère habituée de l’auto-construction et ayant elle-même construit la plupart de ses outils. L’idée : faire en sorte que le savoir ne soit pas intégralement détenu par le seul homme du groupe, mais aussi par une femme. Une demande des groupes de femmes et un choix jugé à postériori intéressant par Aude : « Dans la pratique, j’ai constaté (et certaines ont témoigné en ce sens) que ma seule présence avait permis à certains moments de poser certaines questions plus facilement, de s’emparer d’un outil plus facilement, sans avoir besoin de solliciter le formateur ».
L’occasion également pour Aude de monter en compétences sur les aspects techniques et pédagogiques pour pouvoir, d’ici quelques mois, encadrer des chantiers seule comme formatrice externe pour l’Atelier Paysan. « Des chantiers en mixité choisie qui le seront également du point de vue de la formatrice, mais aussi des sessions mixtes où une femme pourrait former au travail du métal des hommes. Et ça, ça permettrait de faire bouger les lignes du point de vue des représentations de genre ! » souligne Morgane Laurent, animatrice à l’Atelier Paysan en charge de la MCDR UsageR-E-s. La suite à suivre dans la prochaine newsletter !