Bâtiment d’élevage, biodynamie & bêtes à cornes

Lucas AP
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Bâtiment d’élevage, biodynamie & bêtes à cornes

Message par Lucas AP »

Sur le Domaine du Geissberg :

C’est en 2012 que Stéphane Fernex et sa femme décident de s’installer sur les terres de Biederthal. Ils reprennent la ferme d’Etienne Fernex, le père de Stéphane, qui était installé là depuis 1991. C’est aussi l’un des pionniers de la biodynamie dans la région.

Pour son installation, l’agriculteur avait imaginé d’augmenter le nombre de bêtes ( l’exploitation est passée de 45 à 80 chèvres), et de diversifier les espèces ( des vaches laitières ont rejoint les biquettes). La culture de céréale est destinée à produire de la farine pour la boulangerie. Une fromagerie, une épicerie, et des poules viennent compléter ce joyeux tableau.

En 2012, un terrain assez éloigné du corps de ferme se libère. C’est alors que s’enclenche la mécanique : Stéphane décide de construire son bâtiment d’élevage sur cette parcelle qui, bien qu’éloignée, a l’avantage d’être assez grande pour être le lieu de vie des bêtes. En parallèle, du réaménagement des anciens bâtiments dans le centre-village (toutes les informations sur cette partie en circuit court : ici), les Fernex réalisent ce nouveau bâtiment d’élevage, partiellement en autoconstruction.
L’objectif est double :
- D’une part, assumer l’augmentation du nombre de bêtes en leur fournissant un espace approprié à leur confort et aux exigences du cahier des charges en biodynamie.
- D’autre part, maîtriser l’émergence de son outil de travail quotidien, en équilibrant autoconstruction et appel à des professionnels, pour aboutir à un bâtiment fonctionnel, ergonomique, et intégré dans le paysage.
Et tout ceci en ayant un recours modéré à l’autoconstruction, qui aura été employée surtout pour réduire les coûts, pour ne pas délaisser la ferme durant la construction !
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Historique :

Nature de l’exploitation et surfaces : 40 ha de terrains, dispatchés sur 56 parcelles et 4 communes  ( oui, apparemment c’est compliqué d’obtenir des parcelles dans ce coin là..)
Céréales (6ha labourables, 3 cultivables), blé, pour boulangerie (+mélange acheté pour les poules)
Cheptel :
- 15 vaches laitières
- 80 chèvres laitières
- 50 poules pondeuses
Épicerie bio

Contexte :
Le projet des Fernex est assez gigantesque. Pour que tout fonctionne bien, les statuts des différents corps et fonction de la ferme sont distincts.
En tout, les bâtiments et activités sont regroupés dans quatre entités juridiques :
- SCI : propriétaires du bâtiment
- EARL : toute l'activité agricole
- SARL : épicerie
- SAS : gestion de la forêt

Commercialisation : vente directe, notamment dans leur épicerie dans le village.

Besoin initial :
Avant ce nouveau projet, les Fernex avaient leur bêtes dans l’ancienne chêvrerie, au milieu du village. Suite au regroupement de leur exploitation à plusieurs familles, leur nombre de bêtes augmente drastiquement : ils ont donc besoin d’un nouvel espace, libéré des contraintes spatiales importantes du village.
L’objectif est de ramener toutes les fonctions au même endroit : animaux, fourrage, machines.
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Clef de détermination :
- Le projet de Stéphane est de développer la ferme de son père dans un but holistique : aller vers plus d’autonomie et d’autosuffisance, en accord avec ses valeurs et les principes de la biodynamie.
- Recherche de fonctionnalité, ainsi qu’un bâtiment esthétique et intégré au paysage.

Parcours réglementaire :
Permis de construire déposé par un architecte. Contrainte : la hauteur du faîtage était limitée à 10,5m, pour des exigences d’intégration paysagère (en plus des débords de toit, des couleurs des menuiseries, couleur du toit, etc). Gros avantage ici : en suivant ces contraintes d’intégration, ils on pu toucher une subvention de 80 000€ pour financer ce bâtiment (aide pour l’agriculture en zone de montagne + règles paysagères).

Conception :
Autoconception totale pour les espaces et l’ergonomie, faite en fonction de leurs expériences précédentes et de ce dont ils estimaient avoir besoin. Le dimensionnement de la charpente a été vu avec l’entreprise qui l’a réalisée.
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Construction

Coût global : 700 000€
Cout par lots :
- 90 000€ de raccord au réseau
- 220 000€ de panneaux solaires
- 100 000€ pour le séchage en grange
- 130 000€ de béton et terrassement
- 24 000€ pour la salle de traite des vaches
- 15 000€ pour les divers équipements (cornadis, principalement).
- 55 000€ pour la charpente du hangar à machines

Superficie : 935 m² d’emprise au sol (17x55m), et plus si l’on compte la surface de toit, de par les dépassées de toitures = 1375m² de surface de toit (25x55m, soit 4m de dépassée de part et d’autre).

Choix de conception :
- Intégration paysagère : bâtiment très long et peu haut, dont l’ampleur du volume est atténuée par le grand toit et ses dépassées de toiture + normes paysagère dans les matériaux (toit rouge, bois en façade, etc).
- Organisation des espaces dans la longueur, autour d’un espace central desservi par une griffe mécanique.
- Le cahier des charges en biodynamie (Demeter) proscrit l’écornage des bêtes, ce qui impose 2 types de mesures particulières : ceci impose des parcs plus grands que la normale, pour éviter qu’elles ne se blessent, et le recours aux cornadis pour les nourrir (pour éviter que quelques dominantes ne s’accaparent la nourriture des autres).
- Autre exigence de la biodynamie : les bêtes doivent conserver un accès simple au près et à l’extérieur. Ainsi, tous les parcs d’élevage ont une porte de sortie sur l’extérieur, qui donne sur un second parc situé abrité sous les 4 mètres de dépassée de toiture.
- Suite logique du précédent point : bovins et ovins sont séparés, chacun contre une des longues façades du bâtiment, pour pouvoir sortir. Bovins à l’Est, ovins à l’Ouest.
- Fonctionner au maximum avec l’éclairage naturel et la ventilation naturelle.
- Fonctionnalité : pas d’élément porteurs au centre du bâtiment, pour libérer les espaces de travail. D’où le recours à une grande charpente en lamellé-collé, réalisée par des professionnels.
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Choix constructifs :
- Sol : fondations et dalle béton-armé pour les espaces pratiqués par les humains et les outils. Pour les bêtes : dalle béton-armé + fumier et terre battue + paillage pour les espaces des bêtes, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur (sous dépassée de toit).
- Charpente : portiques en sapin lamellé-collé (d’Autriche), répartis en 11 travées de 5 mètres. Chaque poteau repose sur un plot béton. Portée d’un portique = 17 mètres.
- Toit : bac acier rouge + plaques polycarbonate pour l’éclairage naturel + panneaux photovoltaïques.
- Revêtement extérieur : bardage bois vertical (mélèze du Nord), fixé aux portiques par une ossature-bois secondaire.
- Revêtement intérieur : panneaux d’OSB + ossature intermédiaire, fixés directement sur les portiques. Carrelage pour les salles de traite.
- Ventilation naturelle : ventilation au faîtage + fenêtres battantes sur les grandes façades + bardage ajouré en partie haute, sous l’égout. Tout ça permet un bon renouvellement d’air, avec un courant d’air naturel permanent sous la face inférieure du toit.
Principe de ventilation naturelle, le long des murs et du toit
Principe de ventilation naturelle, le long des murs et du toit
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Particularités :
- Récupération des eaux de pluie : tout ce qui vient du toit du bâtiment est dirigé vers un étang en contrebas.
- Panneaux solaires photovoltaïques sur tout le pan de toit Sud-Est (soit 687m² de panneaux).
- Double-toiture et aspiration d’air pour le séchage du foin (voir schéma): caisson bois OSB + isolation (pour avoir de l’air chaud) + ventilateur sous le rampant du toit Est. L’air chaud du toit est ainsi aspiré et envoyé directement dans une conduite posé au sol dans la salle de séchage. Il est ensuite directement soufflé sous le foin pour le sécher, foin qui repose en vrac sur un sommier de lattes en bois ajourées (claies).

Défauts constructifs :
L’utilisation de l’OSB en revêtement intérieur, sur les parois des parcs pour les bêtes à cornes : le taureau s’est récemment mis à les percer ! Pas trop d’inquiétude du côté des Fernex cependant : même si l’OSB est fragile, qu’il peut se changer facilement. Le taureau peut se défouler tranquillement et on peut changer l’OSB après quelques temps. Finalement c’est peut-être assez adapté, si la bête n’en fait pas une habitude ! (à voir sur le long terme) Pas de problème sinon avec les autres bêtes.
Vue interieure hangar 1.jpg
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Autoconstruction : partielle

Calendrier : un an et demi de construction, précédé d’un an et demi de conception.
Début construction en 2014, les bêtes sont dedans depuis décembre 2014, la salle de traite est utilisée depuis mai 2015, et finalement ouverture du bâtiment en septembre 2015.

Accompagnement d'un professionnel :
- Charpente bois + toit + bardage : par des charpentiers.
- Installation électrique et raccord aux réseaux
Fait eux-même :
- Tout les travaux de béton / maçonnerie. Location de toupies pour l’occasion : au total 45 toupies pour toute la maçonnerie.
- Pose des planchers, et de l’OSB
- Installation des cornadis

Chantier participatif : aucun, si ce n’est les gens qui travaillent sur la ferme (4-5 personnes).
Vue depuis le couloir d'alimentation. Sur la face intérieure du toit, à gauche : le caisson en OSB pour la récupération de l'air chaud en vue du séchage du foin
Vue depuis le couloir d'alimentation. Sur la face intérieure du toit, à gauche : le caisson en OSB pour la récupération de l'air chaud en vue du séchage du foin
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Avantages / inconvénients dus à l'autoconstruction :
Gros avantage du coût qui est finalement assez réduit sur les parties qu’ils ont peu faire. Et puis cela les intéressait aussi d’en construire une partie, sans sacrifier trop de temps sur la ferme.

Usage :

Organes internes :
- Espaces des vaches (tous parcs confondus) : 270 m²
- Chèvres (tous parcs confondus) : 210 m²
- Parcs extérieurs couverts : 160 m²
- Salles de traite : 2 salles de 21 m² chacune
- Circulation centrale : 200 m²
- Planchers de stockage temporaire du fourrage : 360 m²
- Séchage du foin : 225 m²
- Hangar à machines à proximité : 300 m² (autre bâtiment séparé)

Organisation & dimensionnement des espaces :
Différences de dimensionnement des parcs :
- Pour les chèvres : 35cm de longueur au cornadis (assez long), mais seulement 1m² au sol dans le parc
- Pour les vaches : 80cm au cornadis, et 10m² au sol minimum ! (normalement, 6m² minimum pour des vaches écornées). Proportionnellement, la chèvre est donc plus adaptée à une organisation de l’espace dans la longueur (même si elle en demande beaucoup), car la vache demande bien plus d’espace au sol. Le problème est résolu ici en étendant la surface du parc intérieur des vaches sous la dépassée de toiture (d’où un redent en façade Sud-Est), en conservant la sortie sur un parc extérieur couvert.

Ergonomie :
- L’objectif était la fonctionnalité, de supprimer la pénibilité au travail et réduire le travail à la main : choix d’une griffe à grain (placée sur un pont roulant sous le faîtage, peut soulever jusqu’à 1 tonne), et organisation des espaces dans la longueur. Ainsi la griffe agit comme la « colonne vertébrale » du bâtiment : placée au centre dans la longueur, elle peut desservir tous les espaces placés autour (des parcs des bêtes au stockage du fourrage). Les salles de traite (traite automatique) vont aussi dans ce sens là.
Fonctionnement général du bâtiment : du chargement du foin pour séchage, jusqu'aux aux bêtes
Fonctionnement général du bâtiment : du chargement du foin pour séchage, jusqu'aux aux bêtes
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- La dalle béton sous les parcs des bêtes, à l’intérieur comme à l’extérieur : fait utiliser plus de béton que si le sol était simplement en terre battue, mais permet de racler et nettoyer très facilement le sol, de changer le fumier régulièrement. Nettoyage des dalles une fois par semaine pour les vaches, 2-3 fois par an pour les chèvres.

- L’utilisation des cornadis implique une organisation du temps particulière, contraignante mais inhérente au travail :
- 6h du matin : traite, puis attachent les bêtes aux cornadis pour les nourrir
- Entre 10h et 11h : reviennent pour les détacher
- Vers 16h : reviennent attacher les bêtes pour les nourrir
- Entre 9h et 10h : un dernier passage pour les détacher

- Système de séchage du foin : permet de rentrer le foin à l’intérieur directement le lendemain de la récolte (contrairement aux 3 jours nécessaires pour faire les balles rondes à l’extérieur). Ils ont donc besoin d’un jour et demi de beau temps seulement pour les faire les foins, ce qui offre une marge de manœuvre intéressante au niveau du calendrier. Le fait de prendre le foin quand il est encore un peu humide permet aussi de conserver les petites plantes, fleurs et autres matières organiques à l’intérieur (qui normalement tombent en poussière lors du séchage au pré), pour avoir aussi un fourrage qui sera de meilleure qualité.
A défaut de consommer du carburant lors du séchage en pré, on consomme de l’électricité pour faire fonctionner ce système.

- La ventilation naturelle le long du mur et du toit permet d’éviter les courants d’air chez les animaux, et réduit les risques qu’ils tombent malades.
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Défauts d'usage majeurs :
Pas de soucis d’usage particuliers, le bâtiment est très fonctionnel ! Peut-être que cela va évoluer avec le temps, mais pour l’instant le bâtiment reste très jeune, un peu tôt pour se prononcer.

Si c'était à refaire :
Pas tout de suite ! Voir « pas du tout » : si Stéphane avait su ce que cela allait représenter à l’avance, il ne retenterai pas forcément. Et puis pour l’instant il reste des choses à finir, notamment la salle de traite pour les chèvres.
Au final, le fait de ne pas avoir construit eux-même les lots les plus lourds a bien arrangé Fernex : cela leur a permis de bien faire fonctionner la ferme en parallèle, au prix d’un investissement plus important à l’installation (compensé par des plus petits lots en autoconstruction, et une conception de qualité). Au final : un compromis intéressant entre investissement personnel, financier et outil de travail fonctionnel.
Le "petit" hangar à machines (300m2), un peu plus haut sur la pente au Nord-Ouest du bâtiment d'élevage. Lui aussi a son lot de panneaux solaires.
Le "petit" hangar à machines (300m2), un peu plus haut sur la pente au Nord-Ouest du bâtiment d'élevage. Lui aussi a son lot de panneaux solaires.
Vue hangar machines.jpg (713.89 Kio) Consulté 3035 fois
Aller plus loin :
- Le site du domaine du Geissberg
- Leurs installations dans le village, pour consolider le circuit court (vente directe, hébergements, boulangerie, fromagerie...)
- Cahier technique de l’ITAB sur l’élevage de chèvres laitières en agriculture biologique
- Le site de Demeter, ainsi que leurs cahiers des charges de production (élevage : page 18) et de transformation (produits laitiers : page 36)
- Le site du Mouvement de l’Agriculture Bio-Dynamique (MABD)

Sur le même sujet :
- Document sur l’autoconstruction de bâtiments d’élevage
- Quelques éléments sur la conception d’un bâtiment d’élevage
- Un site avec de nombreux plans téléchargeables de bergeries et chêvreries, qui donne quelques exemples de dimensionnements possibles

Quelques exemples de hangars et bâtiments d’élevage autoconstruits ::
- Agrandissement d’une ferme d’élevage bovin
- Bâtiment d’élevage avec les moyens du bord
- Habitation & chêvrerie autoconstruites
- Auto-amélioration d’un bâtiment de stockage du foin
- Autoconstruction de hangars de grandes surfaces en grumes de bois autoconstruits : bâtiments d’élevage et bâtiment pour paysans boulangers
- Un système de séchage du foin, autoconstruit, alternant entre chauffage en serre et chaudière bois
Ces travaux de recensement bénéficient du soutien financier de l’Europe et du Réseau Rural National, par le biais de la Mobilisation Collective pour le Développement Rural coordonnée par l’Atelier Paysan sur "L’innovation par les Usages, un moteur pour l’agroécologie et les dynamiques rurales" (2015-2018), dont la FNCUMA, la FADEAR, l’InterAFOCG, AgroParisTech et le CIRAD sont partenaires.

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